61 % des DJs émergents placent les réseaux sociaux au-dessus du talent

61 % des DJs émergents placent les réseaux sociaux au-dessus du talent

“Aujourd’hui, les chiffres sur les réseaux sociaux comptent davantage que les compétences musicales.”

 

C’est l’un des enseignements les plus marquants du dernier International Music Summit (IMS) à Ibiza. Dévoilée fin avril par la Pete Tong DJ Academy, cette enquête menée auprès de 15 000 DJs et producteurs émergents révèle une réalité dérangeante : 61 % des jeunes artistes interrogés estiment que la visibilité numérique prime désormais sur le talent pur.

 

Ce chiffre, au-delà de sa portée immédiate, dit beaucoup d’un changement de paradigme profond dans la culture électronique contemporaine. Il ne s’agit plus uniquement de musique. Il s’agit d’image, de storytelling, de performance sociale permanente.

 

Le DJing n’a jamais été qu’une affaire de technique

 

Il serait illusoire de croire que le monde de la nuit a déjà été un sanctuaire préservé du paraître. La figure du DJ-star est née bien avant TikTok : de Larry Levan à Carl Cox, en passant par David Guetta ou Nina Kraviz, la capacité à fédérer, à incarner une vision et à séduire a toujours compté. Mais ce qui change aujourd’hui, c’est l’accélération et la standardisation de ces codes.

 

Dans une époque saturée d’images, le DJ se doit d’exister en permanence. Stories, reels, live sessions, autopromotion… Chaque post devient une micro-performance, chaque publication un test pour l’ego. “Si ça floppe, je me sens comme un échec”, témoigne un DJ français de 24 ans dans l’étude. Une phrase qui dit tout du lien désormais intime entre création musicale et validation algorithmique.

 

 

 

Une industrie perçue comme “fermée” par les jeunes artistes

 

Plus inquiétant encore : 62 % des sondés décrivent l’industrie de la musique électronique comme un “club fermé”. Le rêve démocratique du numérique – faire tomber les barrières à l’entrée, permettre à chacun d’exister – semble avoir laissé place à une forme d’élitisme algorithmique. Non plus fondé sur les réseaux traditionnels (clubs, labels, radios), mais sur la capacité à plaire rapidement, massivement, visuellement.

 

Résultat : près d’un tiers des répondants avouent avoir envisagé d’arrêter la musique au cours de l’année écoulée, tandis que plus de la moitié déclarent avoir souffert d’anxiété ou d’épuisement. Dans un univers où l’image est omniprésente, l’invisibilité devient violence.

 

 

 

 

De la scène à l’écran : une nouvelle grammaire du succès

 

Ce basculement n’est pas propre à la musique électronique, mais il y prend une résonance particulière. Le DJ est par définition un intercesseur : entre le public et la musique, entre la piste et le son. Il n’a jamais été au centre, jusqu’à récemment.

 

Aujourd’hui, les plateformes sociales lui demandent de se recentrer sur lui-même, de raconter sa vie, de transformer ses performances en contenu. Le studio devient décor, le club devient vitrine, la musique devient fond sonore. Le branding personnel passe souvent avant la narration sonore.

 

Et pourtant, il serait trop simple de blâmer ces jeunes artistes. Ils répondent à une réalité économique. Les programmateurs, les bookers, les marques, les médias… tous, désormais, regardent les chiffres avant d’écouter les sets. Un profil Instagram bien tenu est parfois plus décisif qu’un morceau original.

 

 

Vers une nouvelle écologie du succès ?

 

Alors, faut-il céder au cynisme et entériner la victoire des réseaux sociaux ? Pas nécessairement. Plusieurs voix dans le milieu rappellent que le numérique reste un outil, et qu’il appartient aux artistes de s’en emparer avec lucidité.

 

Des artistes comme TSHA ou Rebekah ont récemment pris la parole pour dénoncer la charge mentale induite par cette sur-exposition permanente. D’autres, comme NTO ou The Blaze, choisissent la rareté, le minimalisme, la distance avec le jeu social. Et ça fonctionne, parce qu’ils cultivent une forme de cohérence artistique qui dépasse l’instantanéité.

 

Ce que révèle surtout l’étude IMS, c’est l’urgence de repenser le modèle de réussite dans les musiques électroniques. De créer des espaces de respiration, de déconnexion, de formation. De redonner de la valeur à l’écoute, à la lenteur, à l’expérimentation. Et de rappeler que ce qui bouleverse vraiment, ce n’est pas une story bien montée, mais un morceau qui nous attrape par surprise à 4h du matin.

 

 

Conclusion : trouver l’équilibre, sans renier le fond

 

Les réseaux sociaux sont là pour rester. Et il serait naïf de vouloir revenir à une époque idéalisée où seul le vinyle faisait foi. Mais dans ce nouvel écosystème, le danger est de croire que la musique ne suffit plus.

 

Photographie par @patstevenson

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